Tu seras où nous serons !

Guillaume

Mon fils, notre fils, mon frère, notre petit-fils, notre copain, notre ami,

Je voudrais qu’on ne garde pas de toi l’image de ton terrible désespoir qui t’a conduit à ce geste fatal. Je voudrais au contraire qu’on garde des images de ton sourire, tes grimaces, ton espièglerie, ton humour, parfois un peu trash.

J’ai dans ma tête cette image de tes longues boucles blondes qui suscitaient l’admiration de tous et ta tête le jour où on les a coupées.

Ces premiers mots à Shanghai, « mama » ou « papa », je ne sais plus, qui avaient rassuré ta mère quant à l’acquisition de la langue française alors qu’ils se disent comme ça en chinois.

Cette image de ta nounou chinoise, Mei Hua, qui jouait avec toi, ligotée dans l’entrée. Je te revois encore lorsqu’avec elle, vous nous accompagniez à l’école le matin. Je te revois, les fesses à l’air, assis sur le rebord de la cuisine, tremper tes doigts dans la casserole où on venait de fondre du chocolat et t’en barbouiller la frimousse.

Je revois ton doudou, ton guegue comme tu disais, perdu un jour dans un aéroport et qui nous avait obligé à recommander le même en plusieurs exemplaires.

Je te revois avec Camille, sur le canapé à écouter sans fin les histoires que vous lisait votre mère.

Je te revois tant de fois courir après des lézards ou d’autres bestioles., pour les enfermer ensuite quelques temps pour après leur rendre leur liberté.

Chien se dit "Gǒu" en chinois. Quand on double le mot, cela devient "petit chien", donc "GǒuGǒu". Guillaume en avait simplifié la prononciation.

Je revois ce petit chat que tu avais trouvé un jour et que nous avions dû rendre à son propriétaire, à ton grand désespoir. Nous avions dû trouver le même pour calmer ta peine et nous avions même réussi à le ramener dans nos bagages.

Je te revois au zoo de Shanghai courir après des pigeons, croquer à pleines dents dans un épi de maïs.

Je te revois, avec Camille, en Chine, en Thaïlande, à Saint-Domingue, où vous vous teniez enlacés, serrés l’un contre l’autre, comme vous l’avez été ces dernières années.

Je te revois, à cheval, en Colombie, à Saint-Domingue, dans un équilibre si précaire, qu’on se demandait avec ta mère comment tu faisais pour ne pas tomber.

Je revois tes premiers pas à skis ou avec Camille on vous avait appris d’abord à aller tout droit. Le freinage et les virages étaient venus par la suite, par nécessité.

Je te vois creuser des trous immenses dans le sable des plages de Montalivet, dévorer à pleines dents une côte de bœuf de plus d’un kg.

Je te revois sur ton monocycle à parcourir des distances incroyables, à descendre le Salbert dans des endroits où je n’arrivais pas à te suivre.

Je te revois préparer tes conseils de classe, en 6ème et 5ème, quand tu passais plusieurs heures à prendre des notes, à rédiger des commentaires.

Je revois encore ta tête rasée ou la folle chevelure, suivant tes humeurs du moment, tes déguisements, tes tenues improbables. Je te revois dessiner ces immenses fresques qui n’étaient jamais assez grandes. 

Je me rappelle tes projets, tes envies d’écrire, de composer, de voyager, tes concerts auxquels je n’ai jamais assisté mais dont tu m’as fait écouter quelquefois des extraits. Je me rappelle ton goût pour le métal, qui devait certainement t’aider à couvrir le bruit assourdissant de notre monde. Je te revois sur ta batterie à enchaîner des solos avec une telle rage, une telle envie de te surpasser.

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Je me rappelle ce magnifique dernier week-end passé avec toi à Manigod où nous avions passé une nuit en refuge pour assister au brâme du cerf.

 Guillaume, je me rappelle tes projets d’avenir quand tu voulais tenir un hôtel en Argentine, puis être pilote de chasse, dentiste. Tu avais finalement opté pour les mêmes études que Camille et tu devais la rejoindre au Chili. Tu te lançais toujours des défis et tu allais toujours au bout. Le dernier, celui-là même de la vie a dû te paraître si difficile.

Guillaume, ta dernière demeure aura été un salon au nom plein de mémoire ; salon Tournette, nous l’avons gravie ensemble à plusieurs reprises, nous y avions aussi volé, à guetter des bouquetins. Je revois tes premiers vols quand tu scrutais les suspentes en me demandant si c’était assez solide.

La dernière photo  que tu m'as envoyée est celle d'un burger géant, confectionné avec tes copains, immense comme ton cœur, immense comme notre chagrin.

Nous garderons de toi cette image de quelqu’un si doux, si lumineux. Ta lumière s’est éteinte, nous garderons la nôtre allumée pour toi. Guillaume, nous garderons toutes ces belles images de toi.


« Tu n’es plus là où tu étais mais tu seras où nous serons. » Victor Hugo

 Ton papa