1er CROSS

C’est le printemps. Cette année, il a pris un peu d’avance et les premières explosions de couleurs ont fait leur apparition. D’abord les jaunes, puis les roses… La nature sera bientôt parée de sa robe éclatante et le ciel se remplira à nouveau des parapentes qui, eux, n’ont pas d’ordre particulier quant aux couleurs.

Depuis mon saut dans la forêt (cf. « Un gland dans les sapins »), j’ai fait recoudre mon aile et effectué quelques vols, entre 2 sorties de ski. J’ai mis à profit cette longue période hivernale pour travailler la météo et les prévisions aérologiques, préparé mon entrée dans la CFD (coupe fédérale de distance de la FFVL). Merci à Pascoual le Rascoual, pour m’avoir tuyauté sur l’enregistrement des vols et de la trace GPS… J’ai aussi complété mon équipement avec l’achat d’une caméra embarquée et de gants chauffants qui, avec la sellette cocon m’ont permis, question confort de vol, de passer de la préhistoire à une ère nouvelle, version transat.

Cela fait plusieurs jours qu’il fait beau. Vendredi après-midi, de la cour d’école, je voyais une grappe de petits points noirs scotchés à la base du nuage qui montait tout droit du décollage de Planfait. Vivement demain !

Ça y est, demain, c’est aujourd’hui. Quand je monte au décollage (avec une heure d’avance sur l’heure théorique de déclenchement thermique), il y a déjà une aile au-dessus des Dents de Lanfon. Zut, j’aurais pu monter encore plus tôt. Je ne perds pas de temps, avale quand même un petit café, histoire de regarder ce qui se passe, d’observer les premières ailes en l’air (ça donne toujours une petite idée de l’aérologie).

Quand je décolle, à 12h45, les parapentistes commencent à arriver en nombre, ça me rassure, il n’y a pas que moi… Je traîne un peu sur le déco, passe en arrière, à la base des Dents puis reviens, ça ne monte pas encore beaucoup. La fois suivante sera la bonne et je fais le plafond à 2400 mètres. En montant, j’ai vu 3 ailes partir en direction du Parmelan. Je m’y engage aussi. Les ailes sont maintenant loin devant. Je les vois un moment, minuscules petits points accrochés dans le ciel puis je les perds de vue. Arrivé à l’extrémité du Parmelan, je refais un plafond à 2600 mètres puis pars en direction du nord, vers la montagne de Sous-Dine. Je croise deux des ailes qui rebroussent chemin. Peut-être que les conditions ne sont pas encore suffisamment installées, peut-être sommes-nous encore trop tôt pour la saison… ça ne fait rien, je continue, au pire, ce sera une vache dans la plaine. Un peu plus tard, j’aperçois la troisième aile, très haut ; il semble revenir, lui aussi. Bon, ça ne fait rien, je ne serai pas dérangé.

Je vise maintenant la pointe d’Andey et petit à petit je perds toute l’altitude gagnée. Et ça continue de descendre. Je commence à regretter mon choix et essaie de repérer où aller me poser quand soudain mon vario bippe, tout doucettement mais il bippe. Je ne laisse pas passer cette chance et fais demi-tour. Ça continue de bipper. C’est pas du fort mais je ne descends plus, alors je reste sur le secteur en faisant des 8. Je reprends espoir, tout n’est pas encore perdu. Pendant une dizaine de minutes, je zérote. Je ne suis pas encore sauvé mais je ne descends plus. A force de persévérance, j’arrive à gagner quelques mètres. Pour me motiver, je me cause : « la lâche pas celle-là (la bulle), accroche-toi !».

Je répète ces incantations à haute voix, tout excité. Je vais me bagarrer ainsi pendant une bonne demi-heure et ça paie. J’arrive à reprendre quelques dizaines de mètres, puis 100, puis 200m, suffisamment pour passer sur un relief plus exposé. Je glisse sur les contre-pentes de la pointe d’Andey et retrouve un ascenseur digne de ce nom. Gagné ! me voilà reparti. En haut, j’hésite : Bargy, pas Bargy ? Il n’est pas accueillant, tout dans l’ombre car le soleil est barré par une grande bande nuageuse. Je laisse tomber la pointe d’Andey et opte pour la vallée d’Entremont, dans l’axe du vent météo, ce sera bien le diable si je ne trouve rien dans ce secteur. Plus loin, j’aperçois le Jalouvre et cette option me plaît bien. Le fond de la vallée n’est pas vraiment accueillant mais suffisamment large pour m’accueillir au cas où. Je longe les falaises de Leschaux. Devant moi, un aigle entame une série de vols en piqué, ailes repliées, suivis d’une remontée presque à la verticale : un vol en festons, supposé faire fuir les intrus. Et l’intrus, c’est moi ! Salut, camarade, je ne t’embêterai pas plus longtemps, je ne fais que passer.

Je vise maintenant le Jalouvre mais une sorte de relief peu pentu m’en barre le chemin. Comme il y a peu de chances que ça monte par là, j’oblique légèrement au sud pour revenir sur la vallée d’Entremont. Tout à coup, le vario bippe à nouveau, très fort cette fois-ci. C’est du lourd, je suis sérieusement secoué mais je m’accroche et en quelques minutes, je suis de nouveau au plafond. Je me jette vers le Jalouvre. L’espoir de boucler le vol renaît. Un coup d’œil à ma montre me fait comprendre qu’il est un peu tard pour faire un crochet par le Bargy.

Ce sera pour une autre fois. Je décide de rentrer. La route est tracée : je passe devant Charmieu et je revois l’endroit où je me suis « planté » l’an dernier. Je suis tombé au bon endroit : à droite à et gauche, ce sont des falaises. Une petite bulle et je traverse le verrou d’Entremont pour filer sur les pentes nord-ouest du Lachat de Thônes. Je suis certain que ça monte, même si la face est dans l’ombre. Et c’est le cas alors je continue tout droit. Je devrais arriver à passer le col de la Buffaz.

Malheureusement, ce n’est pas assez fort, je ne gagne pas grand-chose. Je reviens en arrière, espérant une bulle salvatrice. Rien, je repars à nouveau en direction du col et je vais jusqu’au bout, le vent météo qui remonte la vallée devrait se canaliser sur le col ! Tu parles ! Rien ! Je n’arrive pas à passer. Il ne me reste plus qu’à faire demi-tour. Quand je me retourne, je réalise le chemin parcouru sans gagner d’altitude. Si jamais ça descend, je vais avoir du mal à rejoindre mon point de départ. Là, je suis content d’être avec ma Usport et son plané. En bas, un groupe de chamois s’enfuit au travers d’un névé. Je file tranquillement vers l’entrée de la vallée. Quelques bullettes me permettent de regagner quelques dizaines de mètres, suffisamment pour passer dans la vallée du Grand-Bornand, sans grande réserve d’altitude cependant. Je vise un champ de l’autre côté de la nationale. Un virage, je m’aligne et je me pose. Il n’est pas loin de 16h30. Un panneau routier m’indique que je suis à la sortie de Saint-Jean-de-Sixt. Pas mal pour un premier cross.

Quand je rentre le soir, je décharge ma trace sur le site de la FFVL et pour la première fois, j’enregistre un vol pour la CFD. J’en profite pour jeter un œil sur les autres vols du jour. Il y a plusieurs vols de plus de 100 km, mais pas sur ce secteur. Les pilotes ont décollé du col de Lépine, tout au bout du lac d’Annecy ou à Saint-Marcel, après Chambéry. Ce sont des sites qui décollent en est, donc plus tôt le matin, avec de longues transitions sur les faces exposées au soleil. La prochaine fois, je sais où je vais.