Pis.... ailleurs ?
L'enquête PISA est une enquête internationale qui analyse les résultats des élèves de 15 ans dans 79 pays de l'OCDE. Elle permet de comparer les différents systèmes éducatifs. Depuis sa création en 2001, elle a mis en évidence la place très moyenne du système français, derrière de nombreux pays.
LETTRE A NATACHA POLONY (journaliste, femme politique, essayiste et directrice du magazine Marianne – émission C à vous du 3 décembre 2019)
Chère Mme Polony, vous êtes sans aucun doute une excellente journaliste. Vous semblez avoir lu avec attention le rapport de l’enquête Pisa et je vous en félicite, mais vous semblez avoir une piètre connaissance du système éducatif français, non dans une dimension théorique basée plus sur des opinions que sur des faits mais dans sa dimension pratique et de terrain.
Vous êtes agrégée de lettres modernes et vous avez enseigné comme professeur de lettres stagiaire. Votre peu d’expérience vous a empêché d’avoir une vision plus large du système.
Vous passez sur les résultats du test : la Chine avec Pékin et Shanghai en 1ère et 2ème position, suivie par Singapour. C’est dommage car s’y arrêter aurait permis d’éclairer les gens qui vous écoutaient. Avez-vous déjà travaillé en Chine ? Y avez-vous seulement enquêté ? Savez-vous à quel prix les élèves chinois réussissent leurs études (et c’est la même chose dans la plupart des pays asiatiques).
- Dès son plus jeune âge, un élève doit travailler chaque soir plusieurs heures pour mémoriser les sinogrammes. Cela forge un mental de travailleur forcené et donne des habitudes de travail qui se perpétuent dans la poursuite de la scolarité.
- Comme au japon, il y a un enjeu social important à ce que les élèves réussissent. Les familles consacrent un budget important à la scolarité de leurs enfants et s’endettent même parfois pour cela.
- Vous parlez d’élitisme dans notre système mais ce n’est rien à côté de la Chine. Le système public y est défaillant, les enseignants sont très mal payés et les écoles ont très peu de moyens (je doute d’ailleurs que les tests Pisa aient été effectué dans ces établissements). Alors les familles qui le peuvent se tournent vers les écoles privées qui font payer cher la scolarité : parfois plusieurs milliers de dollars (ou équivalent RMB). Là les enseignants sont très bien payés et les écoles disposent de moyens importants. Les écoles se comparent, se jaugent, se classent, c’est à qui sortira du lot et c’est la même chose pour les familles. A l’entrée des écoles s’affichent les portraits de ceux qui ont de très bons résultats, ceux des mauvais élèves (ou des mauvais payeurs) aussi.
- Tout cela sous l’œil d’un régime qui s’en moque tant que cela ne touche pas la question politique.
Vous vous appuyez sur de multiples résultats statistiques et avez raison sur de nombreux points :
- La France est un des pays les plus inégalitaires et vous avez raison de trouver que c’est ignoble.
- Les populations défavorisées sont concentrées dans des ghettos (que ce soient des quartiers ou des établissements d’enseignement).
- Vous pointez le manque d’ambition des élèves (que les familles n’ont pas non plus d’ailleurs).
- Vous parlez de l’autocensure des élèves qui s’interdisent de réussir.
- Vous dites avec raison que les profs se sentent seuls, mal aimés, dégoutés (je peux vous assurer effectivement que l’Éducation Nationale est infantilisante, voire méprisante avec ses enseignants, quoiqu’en disent ou l’ont dit certains ministres).
- Vous soulignez ce « mouvement des enseignants » qui bloque le système et ne permet pas aux enseignants vacataires, contractuels ou débutants d’enseigner ailleurs que dans des établissements prioritaires ou sensibles. Les meilleurs étant réservés aux plus anciens, à ceux qui ont de l’expérience. Tout cela à cause de la majorité des syndicats qui ont toujours tout bloqué, même si vous soulignez leur efficacité sur d’autres sujets. Et ce n’est pas une prime qui règlera le problème car ce ne sont pas les professeurs expérimentés qui cherchent à arrondir leurs fins de mois.
- 9% des élèves testés ne font pas la différence entre un fait et une opinion. Cela met en évidence que contrairement à ce que prétendent certains, l’école ne développe pas l’esprit critique. Au contraire, elle fabrique des crétins.
- Un autre invité, Thomas Piketti, a souligné l’hypocrisie de nos gouvernants qui parlent d’égalité alors qu’ils font exactement le contraire (on retrouve d’ailleurs cette hypocrisie dans tous les domaines de notre société (justice sociale, emplois, salaires… voire dans l’idée même de la démocratie).
Vous avez tort sur de nombreux autres points et omettez même des éléments fondamentaux dans votre analyse :
- Vous parlez à peine de l’école primaire. Pourtant, c’est là que tout se joue. Tous les élèves qui n’y acquièrent pas les compétences fondamentales seront très pénalisés pour la suite.
- Vous avez dû faire hurler pas mal d’enseignants ce soir, quand devant leur écran, ils vous ont entendu dire qu’en France, on ne savait pas encourager les élèves.
- Vous nous faites comprendre que les enseignants feraient mieux leur travail s’ils étaient mieux payés. Donnons-leur dès demain le double de leur salaire actuel et voyons ce que cela donne. Là n’est pas le problème même si la reconnaissance sociale en est un des points fondamentaux.
- Vous limitez le problème de méthode à l’instauration de la discipline pour favoriser les apprentissages. Certes, c’est un élément important et des clés peuvent être données dans les formations. On n’apprend pas dans le bruit et l’indiscipline. Peut-être faudrait-il se poser la question de savoir pourquoi les élèves n’arrivent pas à se comporter correctement en classe. Il y a une multitude d’autres facteurs qui ont une influence négative sur leur comportement (chômage des parents, précarité, ghettoïsation, niveau de culture et formation des familles - ne serait-ce qu’à la parentalité…).
- Vous occultez dans vos remarques sur les méthodes d’apprentissage la question de la pédagogie des apprentissages. Vous avez démissionné de l'Éducation nationale car vous estimiez que le programme et les réformes en cours réduisaient l'enseignement du français à un exercice technique. Vous aviez plus que raison car là est un des nœuds du problème. Nos méthodes pédagogiques sont héritées d’après-guerre et n’ont pas beaucoup changé, dans leur fondement même. J’ai suivi des élèves professeurs des écoles et je peux vous garantir qu’il n’y a pas eu beaucoup d’évolution dans les formations (IUFM ou ESPE). Pour pallier ces difficultés, les enseignants ont développé de multiples leurres pédagogiques : programme de travail hebdomadaire en autonomie, permis à points, récompenses avec des pastilles de couleur… Les nouveaux systèmes informatiques, tablettes et TBI n’y changeront rien car la pédagogie pratiquée est la même.
- On est resté sur l’apprentissage de notions théoriques, sur du « par cœur » et cela n’a plus de sens aujourd’hui. Je l’ai constaté sur mes propres enfants qui devaient ânonner des règles de maths sans en comprendre le sens et sans en voir la relation avec des situations pratiques. Ne parlons pas du sens des apprentissages lorsque dès la maternelle, les élèves sont formatés à remplir des cases sur des photocopies. Ne parlons pas des langues quand un élève de seconde peut bien avoir 17 de moyenne en allemand quand il ne bafouille que quelques mots et est incapable de se présenter ou de demander son nom à quelqu’un, tout cela à cause d’une pédagogie basée sur la traduction de textes. J’ai travaillé dans des zones « sensibles » où la question de la discipline prend tout son sens (et malheureusement, c’est vrai ailleurs maintenant) mais je peux vous garantir (même si c’est au prix de réelles difficultés) que lorsque les élèves sont confrontés à des projets ou des situations concrets, ils sont capables de prouesses. Pourtant, nos chers inspecteurs continuent de mettre des bâtons dans les roues à ceux qui s’écartent du droit chemin, du programme officiel (parlez-en à Céline Alvarez, abordez les pédagogies Freinet ou Montessori avec nos dirigeants…)
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Au fil du temps, on en a demandé de plus en plus aux enseignants. D’instruction, on est passé à éducation. L’école s’y est perdue. Les familles ont délaissé cette part d’éducation qui leur revenait et on trouve de plus en plus d’élèves (et pas seulement dans les zones sensibles) qui ne supportent pas la frustration, à qui il n’est plus possible de dire non. Les autres souffrent en silence. L’état, les enseignants et le pays y ont perdu leur autorité.