UN GLAND

DANS LES SAPINS !

- Hier, je m'ai branché !

- Tu veux dire : branché, branché ?

- Ben ouais, quoi, branché !

- Mais branché comment ? Dans des branches ?

- Ben ouais, dans des branches quoi, tu sais les trucs qui poussent sur des arbres !

- Encore ?

- Ben ouais encore ! Mais cette fois-ci version « Jack London », style « l’appel de la forêt » !

- Non ?

- Si !

- Raconte !

- Bon, j’explique !

On est début février et il fait beau comme au printemps, il y a peu de neige en montagne et le peu qui est tombé il y a déjà quelques semaines a durci ; pour le ski ce n’est pas le top. Alors, on a ressorti les ailes. Ce ne sont pas les thermiques de printemps, mais il y a 2 semaines, j’ai réussi à voler 2 heures. Ça ne montait pas plus haut que la base des dents de Lanfon, mais pour un 1er vol de l’année, c’était plutôt sympa. Alors hier, quand j’ai vu que les conditions étaient semblables, je n’ai pas pu résister. Problème, il y avait beaucoup de monde au déco (30, 40 ailes ?) et ça ne montait pas. On tenait à peine et tout le monde était scotché devant le déco. J’aurais dû me méfier car à plusieurs reprises, j’ai dû effectuer des manœuvres de dégagement.

À un moment, j’ai voulu tourner à droite, il y avait une aile. J’ai viré à gauche et je me suis retrouvé en face d’une autre aile. Pour éviter la collision, j’ai enfoncé une commande un peu trop fort et c’est parti. Décrochage à droite, puis à gauche, puis comme j’étais tout près des arbres, je me suis retrouvé dedans. Je n’ai pas tiré le secours car je savais qu’il ne servirait à rien, juste à me donner plus de boulot après. J’ai traversé la crête des arbres, coup de tête sur quelque chose, merci le casque, puis ça a ralenti pour s’arrêter… Puis c’est reparti d’un coup sec, de quelques mètres et je me suis enfin arrêté à un mètre du sol, la tête en bas et coincé dans mon cocon. Une pensée m’est venue à l’esprit à ce moment : « Me voilà bien maintenant, quel gland ».

Je me suis dégagé rapidement du cocon et en enlevant mon casque j’ai laissé échapper mes lunettes qui ont plongé dans les feuilles mortes. J’ai décroché les élévateurs de leurs 2 mousquetons et je me suis retrouvé par terre. A ce moment, j’ai entendu qu’on m’appelait. 2 ou 3 ailes tournoyaient au-dessus de moi alors j’ai crié que je n’avais rien et j’ai commencé à chercher mes lunettes. Mais la pente était raide et je brassais des paquets et des paquets de feuilles.

Au bout de 10 minutes, j’ai décidé d’essayer de récupérer ma radio qui était restée accrochée à ma sellette. Quand j’ai réussi, j’ai appelé à plusieurs reprises la fréquence FFVL (qui est aussi normalement une fréquence de secours). Aucune réponse ! J’ai alors repris la recherche de mes lunettes de manière plus méthodique. Le plus rigolo, c’est que cette situation me paraissait presque anodine, sans stress ni inquiétude particulière (bon, faudrait pas que je m’habitue). Deux promeneurs sont arrivés à ce moment là (je n’avais pas vu qu’un chemin passait à 10 mètres à peine, ce sera plus facile pour redescendre et venir récupérer mon aile). Ils me demandent si j’ai besoin d’aide. A part mes lunettes, non, je n’ai besoin de rien d’autre. Pendant qu’on est en train de ratisser la zone, ma radio se met à grésiller puis une voix se fait entendre :

« Hélicoptère pour recherche sur zone d’un parapentiste qui s’est branché…

!!! Flûte, Y Z’ONT appelé les secours. Les pilotes à qui j’ai signalé que je n’avais rien auraient pu transmettre le message.

- Je suis le pilote qui vient de se mettre aux arbres, ne venez pas me chercher, je n’ai rien, je suis au sol !

- Pas d’assistance, alors ?

- Non, tout va bien, désolé pour le dérangement ! J’ai appelé à plusieurs reprises sur la même fréquence mais personne n’a répondu.

- Bon week-end alors !

C’est ça bon week-end, il me reste pas mal de trucs à faire : retrouver mes lunettes, trouver comment je vais réussir à récupérer mon aile… Je remercie les promeneurs puis décide de faire une petite pause café (ben, ouais quoi, j’ai toujours une thermos, même ne l’air). J’en profite pour appeler Isa qui n’est pas plus étonnée que ça d’apprendre que je suis encore aux arbres (ça n’étonne plus grand monde finalement).

Je cherche mes lunettes encore un moment puis décide d’arrêter. Je reviendrai avec des renforts, on va bien finir par les retrouver. Je rassemble toutes mes affaires puis commence à entreprendre le retour. En fait, je ne suis pas très loin et au bout d’une quinzaine de minutes, j’arrive à un petit hameau où je retrouve mes 2 promeneurs. Encore quelques dizaines de minutes et me voilà sur la route principale. Un petit coup de pouce en l’air et j’arrive rapidement à ma voiture. J’en profite pour passer à l’école pour demander s’ils connaissent le numéro des gars qui « débranchent » les parapentistes (je me souviens avoir vu une annonce un jour, sur le déco).

Je repars avec le numéro de « Marsupilacime ». Je les appelle ; comme il est déjà un peu tard, on décide de faire la récupération de mon aile le lendemain aux premières heures. Puis retour à la maison. Guillaume, qui rentre un peu plus tard d’une journée de ski au Grand-Bornand m’aborde en rigolant :

- T’es un gland alors ?

- Tu l’as dit !

En fait, il se moque de moi, car il y a quinze jours, un parapentiste qui s’était mis aux arbres m’avait fait dire qu’il fallait quand même être gland pour s’y mettre, aux arbres, juste sous le décollage, et le premier jour encore (bon, ce ne sont pas tout à fait les mêmes circonstances et vaut mieux en rigoler).

Dimanche matin, réveil à huit heures. On s’équipe rapidement avec les loulous. Je décide de braver le sens interdit qui limite l’accès aux riverains et je remonte le chemin que j’ai descendu la veille. Je me gare en bordure d’un champ et Camille me signale qu’un homme me demande si on a l’intention de se gager là. Je lui réponds que je vais chercher mon parapente qui est dans les arbres. Il grommelle un « encore un » et s’en va.

Je décide de redescendre la voiture, on ne sait jamais En remontant à pied, on retrouve le gars de « Marsupilacime » qui a fini le boulot ; il a décroché l’aile et même retrouvé mes lunettes. Il m’apprend aussi que l’homme qui nous a apostrophés n’est pas un drôle, qu’il a même déjà sorti son fusil contre les parapentistes. Un jaloux, quoi ! Mon aile n’a pas trop souffert, un panneau déchiré au niveau du bord de fuite. A la maison, quand je démêlerai l’ensemble, je constaterai qu’il y a aussi 2 suspentes cassées. Dans quinze jours, il n’y paraîtra plus et je pourrai m’y remettre… en l’air ! Pas aux arbres, enfin, j’espère ! Je crois aussi que je vais m’inscrire à un stage SIV (Simulation d’Incident de Vol), ça peut servir !