Lettre à un Dasen

Monsieur le directeur académique des services de l'Éducation nationale,

Après quelques mois d’une retraite plus que méritée, j’ai eu envie de vous faire part de quelque chose qui m’est resté en travers de la gorge. Après presque 40 ans de bons et plus que loyaux services, je suis parti en retraite, anonymement, presque sur la pointe des pieds et comme un voleur. J’ai remis mes clés à mon successeur et je m’en suis allé. J’ai guetté ma boîte aux lettres pendant quelques temps et puis je me suis fait à l’idée que je ne recevrais rien. J’ai vainement attendu un petit mot de votre part (ainsi que de l’inspecteur de ma circonscription). Oh, pas grand-chose, juste quelques mots pour me remercier du temps que j’ai passé dans cette grande maison qu’est l’Éducation Nationale et pour me souhaiter bon vent. Un petit merci pour toutes ces années passées à subir le poids d’une administration lourde, pointilleuse et infantilisante, le mammouth dont parlait un certain ministre de l’Éducation Nationale. Presque quarante ans à consacrer une bonne partie de ma vie à mon école et ma classe, à partir chaque matin avec un petit nœud dans le ventre, me demandant qui, de l’administration, des parents, des élèves, voire des collègues parfois, allait le plus me pourrir la journée, à subir le poids des réformes, des nouveaux programmes, des nouveaux textes, des livrets scolaires à refaire sans cesse, des lubies de tel ou tel inspecteur quand ce n’était pas des remarques déplacées ou désobligeantes.

Les dernières années ont été les plus difficiles car le comportement d’un certain nombre d’élèves (et de leurs parents) a évolué de manière très significative, rendant les journées extrêmement pénibles et exténuantes : bavardages incessants, comportements violents, élèves qui répondent et qui se lèvent sans cesse, incivilités (dégradations, vols, irrespect…), parents qui contestent toute remarque, toute sanction, qui appellent directement la direction académique pour se plaindre et pour mettre en cause un enseignant ou qui viennent directement en découdre à la sortie de l’école, propos diffamatoires ou insultants… Le tout sans grand soutien de la part de l’administration, souvent bien prompte à aller dans le sens des parents.

Pendant toutes ces années, je me suis investi énormément dans mon travail. J’y ai consacré mes soirées, des nuits parfois, des journées de vacances à préparer mes cours, à inventer et réinventer sans cesse des outils pédagogiques, des fichiers de travail pour les mettre à la poubelle quelques années plus tard en raison de changements de programmes ou de directives. Pendant plusieurs années, je me suis réellement senti investi d’une mission au service des élèves et de la société mais le climat s’est insidieusement dégradé au fil du temps pour arriver où nous en sommes aujourd’hui avec les résultats que nous connaissons.

L’Éducation nationale doit bien être la seule entreprise de France à ignorer ses employés lors de leur départ en retraite. Mme Vallaud-Belkacem se plaisait à répéter qu’elle nous aimait, mais nous aimer, c’est d’abord nous respecter.

Votre silence a au moins un mérite : il me fait apprécier encore plus la liberté retrouvée et je n’ai vraiment aucun regret à ne plus faire partie de la « maison ». Plus d’élèves insupportables, plus de parents agressifs, plus de nouveaux textes administratifs qui viennent surcharger un travail déjà pesant, plus d’inspecteur qui vient fouiller dans les recoins pour vérifier si vous avez bien défini le bon objectif à votre séance ou si vous êtes bien rasé. J’ai gardé quelques temps des cartons entiers de matériel, collecté et fabriqué au fil des années, avec l’idée peut-être d’en faire quelque chose plus tard. La meilleure idée qui me soit venue finalement a été de tout jeter à la poubelle, sans regret. Ma nouvelle vie a une meilleure saveur et un parfum sans égal.

Vous êtes bientôt retraitable et je ne vous souhaiterai rien, c’est de bonne guerre, vous en conviendrez. Je ne doute pas que les discours d’usage et les petits fours seront au rendez-vous, c’est ainsi dans notre société élitiste et monarchique. Gloire et honneur pour les chefs, peu de considération pour le bas de l’échelle. Nous, enseignants, sommes à l’Éducation Nationale ce que représentent les gilets jaunes pour l’économie : des petites mains laborieuses qui créent la richesse mais n’en profitent pas ni n’obtiennent aucune reconnaissance.