REMISE EN CONDITION

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Après nos 11 années d’expatriation, j’ai retrouvé le parapente avec un grand plaisir, mais j’ai perdu le rythme. Le manque d’expérience se fait sentir douloureusement : les quelques vols d’automne (entre 2 séries de cartons à déballer) me montrent que je n’ai plus les sensations d’avant, je ne suis plus aussi à l’aise en l’air…

Durant les premières années où je ne volais que pendant les grandes vacances, je vivais sur mes acquis et j’ai même réussi sans entraînement aucun quelques beaux cross : Chamonix-Albertville, Mieussy-Morzine-Le fer-à-cheval, une belle ballade de 90 km dans les Aravis… mais aussi quelques frayeurs : une « vache(1) » vent de Q (2) dans un vallon du Praz-de-Lys, avec un pantalon déchiré, une cheville bloquée pendant quelques jours et un gros bobo sur la fesse droite, un posé à reculons dans la vallée de Sallanches entre une ligne à haute-tension, l’autoroute, une voie ferrée… et un poignet cassé en me reposant au déco de Mieussy (le 1er jour des vacances - saison sitôt commencée, sitôt terminée - après 3 heures de vol quand même, et sans vario, de plus).

Je décide donc avec les beaux jours qui s’annoncent de refaire un petit tour en école, histoire de voir où ça pêche et de remettre un peu d’huile dans le moteur. Mon choix s’arrête sur les « passagers du vent » à Talloires ; avec un nom pareil, ça ne peut qu’être de bon augure. J’ai aussi regardé le programme des « grands espaces », car j’ai débuté avec eux lors d’un mémorable stage perf avec la bande à Marianne, du temps où Pierre Bouilloux encadrait encore les stages mais leur calendrier ne correspondait pas au mien. Isa décide d’aller faire un tour à Paris avec les loulous car elle sent que je ne vais pas être très disponible pendant quelques jours. Je vais donc pouvoir vivre et penser exclusivement parapente. Je fais le plein de cocas, en-cas et autres coupe-faim, je charge les radios, batteries, piles de rechange… et la bière pour le retour - blanche de préférence avec un zeste de citron.

Je suis fin prêt pour réattaquer une saison qui s’annonce magique (d’autant que j’ai en face de notre maison le site du Semnoz avec des cross à partir pour Chambéry, Grenoble… voire …) ! Le Semnoz est d’ailleurs un souvenir fort dans ma vie de parapentiste. C’est là que pendant le stage perf cité plus haut, j’ai fait une série de décrochages (la voile très ralentie ne vole plus et part en arrière) et d'abattées (idem, mais en avant cette fois) qui a duré très, très… très longtemps, pendant lequel j’ai perdu 300 ou 400 m et où j’ai bien cru que tout allait s’arrêter dans la forêt que je voyais arriver à toute allure).

Ce n’est pas pour rien non plus qu’on a choisi la Haute-Savoie comme dernière expatriation : haut-lieu du parapente, au centre de toutes les grandes stations de ski, à proximité de Chamonix et de toutes les beautés de la montagne…

Samedi 10 avril

C’est les vacances ! Je décide d’aller voler pour la première fois de la saison : tous les sommets sont encore enneigés, je sens qu’il va faire frisquet. Il faut aussi que je sorte mon aile au moins une fois avant ma semaine de stage, pour avoir l’air moins bête au déco, on ne sait jamais. Je la déballe et remarque le carton qui entoure les suspentes et qui précise qu’après une révision, il est nécessaire de faire un tour en pente école avant un premier vol (la révision, je l’ai faite il y a un mois pour m’assurer que mon engin volait encore ; en septembre, j’avais regardé en l’air à plusieurs reprises, un peu dubitatif, en me demandant si après toutes ces années, c’était encore solide). Une fois en l’air, je constate que tout va bien, ils ont tout remonté à l’endroit. Je vole deux heures et effectivement il fait froid, en peu de temps j’ai les mains gelées, c’est la raison pour laquelle j’irai d’ailleurs me reposer. Bon, j’ai retrouvé les automatismes mais en l’air je n’ose pas vraiment m’éloigner du déco. J’essaie à plusieurs reprises de m’engager sur les pentes en arrière du décollage, histoire de monter aux dents de Lanfon, mais ça ne monte pas assez (en tous cas pour moi ; il y a pourtant plusieurs ailes au-dessus des dents...). Vivement lundi !

Lundi 12 avril

C’est mal parti ! Au réveil, il y a des nuages partout, tout est bouché, pas un rayon de soleil. Vincent m’appelle et me dit qu’on va attendre midi pour voir comment ça évolue. A midi, ça n’a toujours pas évolué, on remet au lendemain. Je pianote sur internet en quête d’informations météo : les prévisions sont plutôt pessimistes pour la semaine.

Mardi 13 avril

Après un premier coup de fil de Vincent qui m’annonce qu’on se retrouve en début d’après-midi, je constate que les nuages du matin s’ouvrent petit à petit pour laisser place à un soleil d’abord timide pour franchement sympathique. La météo se serait-elle trompée ? D’autant qu’elle en rajoute question prévisions pessimistes, et même pour toute la semaine. Je décide d’assurer et prépare une paire de gants de soie, histoire de ne pas finir les mains gelées comme samedi. J’y ajoute une cagoule, pour me protéger le museau.

On décolle de Planfait vers une heure et demie et c’est parti pour la première séance. Dans les 1ers thermiques, Vincent m’observe et me guide à la radio. Il m’annonce qu’on va essayer de faire le plein (3) aux dents de Lanfon pour ensuite transiter sur le Parmelan. Au bout de quelques tours, il me rappelle et me fait remarquer qu’en 2 tours il vient de me mettre 100 m de hauteur dans la vue.

Je « papillonne » trop, me dit-il ! Effectivement, j’ai tendance, et ce n’est pas nouveau, à vouloir changer de thermique trop vite et de ne pas rentabiliser celui dans lequel je me trouve. C’est promis, je vais faire attention. Le plein effectué (c’était « super » et pas « normal »), on s’engage dans la traversée en direction du Parmelan, Vincent me fait un petit topo de la chaîne qu’on aperçoit, me dit d’éviter d’aller sur la droite en direction de la « tête à Turpin ». Tiens c’est marrant, Pascal, mon pote voleur de Belfort, m’avait fait la même remarque quelques années auparavant. Je m’étais empressé d’oublier le conseil et c’est en arrivant dans l’essoreuse de la tête à Turpin que je m’étais rappelé qu’il ne fallait pas y aller ! Bon, j’suis pas mort, et alors ?

Cette fois-ci, on va vers le bon secteur, celui où il y a la « pompe » (4) de service qui t’attend. Vincent m’indique le petit chalet dans un alpage que je dois absolument survoler pour être assuré de remonter. Je trouve que j’arrive bien bas et commence à regarder les vaches possibles (pas les vaches qui broutent… celles de la note n° 1). La voix rassurante de mon coach me remet dans l’action : « ça va faire (4 bis), t’inquiète ». Effectivement, ça fait et on remonte tranquillement le long des falaises du Parmelan. On se laisse pousser jusqu’au point central. On fait demi-tour et cette-fois Vincent me demande de viser le centre de la vallée pour le retour, le long de la route qui trace une belle droite régulière. On doit trouver une confluence, zone de rencontre de 2 secteurs de vent, l’un venant d’Annecy, l’autre de derrière nous. On la trouve à l’endroit indiqué et elle nous ramène suffisamment haut pour rejoindre les dents de Lanfon. De là, on va traverser le lac au niveau du rétrécissement pour rejoindre le bas des falaises du Roc des Bœufs. Vincent me fait remarquer que le plafond (5) semble descendre : « à surveiller, me dit-il ». Moi, je n’avais pas remarqué, trop concentré à m’appliquer… à ne pas papillonner, à ne pas perdre le noyau de thermiques…

On remonte tranquillement le long des falaises, essayant d’optimiser toutes les ascendances qu’on trouve. On va même faire un petit tour du côté du Semnoz, mais ça ne donne rien. On redescend puis après un dernier plein, on retraverse le lac en direction du col de la Forclaz. Le plafond a maintenant bien baissé et de grosses formations nuageuses se sont installées en plusieurs points du massif. Si tout ça se referme, on va avoir droit à du mauvais temps, ça sent un peu la poudre. Comme Vincent a sa voiture à Doussard au bout du lac, on décide d’arrêter là le périple… après 2 heures trente de vol… Pas mal pour une reprise. N’empêche que je suis gelé, j’ai les cuisses engourdies, les pieds, je ne les sens plus et je me choppe un onglée comme je n’en avais pas eu depuis… au moins 11 ans… Bienvenue au pays.

Demain, ce sera sur-pantalon. Pour les gants, j’essaierai ceux avec lesquels j’ai skié cet hiver, ça devrait être mieux ! Au retour à Planfait, le ciel s’est fermé comme prévu de tous côté et on a droit à un des premiers orages de la saison… avec neige et grêlons, excusez du peu !

Mercredi 14 avril

La météo annonce de la pluie dans l’après-midi. Il va falloir qu’on vole assez tôt. Une parapentiste, Marik, se joint à nous. On décide de retenter le périple de la veille avec l’idée de l’allonger de quelques sommets. On traverse à nouveau sur le Parmelan et comme à chaque jour suffit sa peine et que rien n’est jamais comme avant, toute la face passe à l’ombre. Du coup les thermiques se font beaucoup plus petits et plus rares. On décide de rebrousser chemin et on perd Marik en route qui du coup doit se vacher dans la vallée. On repasse sur le Roc des Bœufs où il fait assez frisquet (1° à 2000 m). En traversant le lac, j’ai lâché les commandes, histoire de faire des balanciers avec les bras… histoire de remettre un peu de chaleur au bout de mes doigts à nouveau engourdis (5 ans dans les Caraïbes n’ont pas arrangé les choses, moi qui étais déjà frileux avant). On retraverse le lac en direction, du col de la Forclaz. J’appelle Vincent car je me trouve un peu bas (mon vario indique 1300 m) et le lac me paraît très proche (l’idée de prendre un bain en cette saison ne me ravit guère). Il me rassure : « t’inquiète, ça passe ! ». Ça passe, effectivement et on raccroche le col où un thermique nous remonte cette fois en direction de la Tournette. Et si on allait y faire un tour ! Quand on passe l’arête qui se trouve devant, on a l’impression de rentrer dans un congélateur. J’ai les mains qui gèlent à nouveau… les pieds aussi… demain, ce sera chaussettes en laine. On rentre tranquillement à la base en allant faire un petit détour au-dessus du lac. Jolie balade !

Jeudi 15 avril

Surprise au réveil, c’est soleil partout ! On décide de se retrouver tôt à l’école pour partir en direction du col de Lépine, tout au bout du lac, où on pourra décoller vers les 11h00 (le soleil comme chacun sait, se lève à l’est. Il chauffe donc les faces est en premier et déclenche là ses premiers thermiques. Si on décolle sur une face orientée en est, on peut donc partir plus tôt dans la journée). Le temps qu’on se prépare, un énorme voile arrive du nord ouest. Y’a toujours un truc qui merdouille ! On ne peut compter sur rien ! Bon, on y va quand même. Ce sera Pierre mon guide du jour. Comme prévu, le voile bloque toute convection, on arrive à « zéroter » (6) une petite heure et on finit par aller se vacher au milieu des prés. Une forte brise de vallée s’est levée et l’atterro est du genre « descente verticale sans avancer d’un clou !». Comme je freine à peine trop tôt, je me fais reculer puis traîner quelques mètres, histoire de donner à mon sur-pantalon un air de « plus vraiment tout neuf ». Je finirai tranquillement la journée par un vol de 2 heures à Planfait, sans trop m’éloigner car le même voile a tout bloqué. On arrive à peine à monter à la base des nuages au pied des falaises des dents de Lanfon.

Vendredi 16 avril

Au réveil, c’est nuages de tous les côtés. Je ne me presse pas et prends tranquillement mon petit déjeuner. Je suis en train de jeter un œil à la météo quand Vincent m’envoie un SMS et me donne rendez-vous à 9h15 pour partir sur le Grand-Bornand où, paraît-il, il fait grand beau. Devant mon étonnement, il m’explique qu’il a jeté un œil sur les webcams de la région (vive la technologie). On décolle du Mont-Lachat vers 12h00. Il fait super beau et chaud - contrepèterie belge - à l’abri du vent. C'est un piège duquel il faut se méfier car on a tendance à se dévêtir et puis après en l'air, on gèle. Les derniers skieurs de la saison profitent d’une petite couche de neige fraîche qui a dû tomber dans la nuit. On traverse en direction du Roc des Tours, les thermiques sont au rendez-vous. Pendant qu’on spirale tranquillement, 3 avions de chasse passent en rase-motte… sous les pieds de Pierre. L’un d’eux fait un brusque crochet car leurs radars - et leurs yeux - n’ont pas dû nous voir, où alors très tard ! Chauds les marrons !

On décide de suivre la crête en direction du Jalouvre, je survolerai plusieurs troupes de chamois. Spectacle toujours magique ! Là, les thermiques ne sont pas au rendez-vous, on redescend donc d’où on vient pour se refaire (7). Pierre nous dit (à Marik et à moi) de faire un plafond maximum pour arriver à transiter sur le « Lachat de Thônes » qui est le passage clé du retour sur Annecy. Lui est très haut et a commencé à transiter. Marik, qui est devant moi, part rapidement, mais elle n’a pas l’altitude qu’il faudrait (j’ai appris peu de temps avant qu’elle ne vole que depuis un an et surtout, sans vario - ce petit appareil qui fait « bip bip » quand ça monte et « beuhhhh » quand ça descend). Chapeau bas, messieurs !

Je décide d’assurer et continue d’enrouler le thermique, mais je le perds, y retourne, puis le reperds… Bon, tant pis j’y vais quand même. Pendant ce temps, Marik, malgré les recommandations de Pierre, vient de s’engager dans le verrou d’Entremont, passage où il ne fait pas bon aller traîner. Pierre la perd un peu plus tard à la radio et malheureusement, on ne la verra pas remonter. On la retrouvera une heure plus tard, après qu’elle se sera vachée en catastrophe, un peu paniquée… Plus de peur que de mal, pas de bobo ! C'est le métier qui rentre ! Le cross en parapente, c'est magique, mais c'est pas forcément de tout repos. On se retrouve forcément un jour ou l'autre dans une situation délicate où il faut faire des choix, prendre des décisions... des petits moments de stress avec le cœur qui bat la chamade. Du coup, il faut se préparer à un certain nombre d'éventualités (se vacher sur un plateau avec plusieurs heures de marche à la clé, dans le lit d'une rivière, finir aux arbres...). Pendant ce temps, j’ai perdu beaucoup d’altitude et je n’arrive pas à raccrocher sur le Lachat. Je reviens en arrière pour me refaire, mais je suis trop bas ; je pars donc sur le Grand-Bornand et malgré une bonne bagarre, je me fais « enterrer » (8). Ce sera pour une autre fois. Demain*, tiens !

Samedi 17 avril

*Aujourd'hui, c'est le demain d'hier !

Premier jour après stage. J'ai retrouvé ma pêche d'avant, les sensations. Moral de crosseur au beau fixe (accrochez-vous, thermiques ! J'arrive). Merci Vincent !

Je vais faire un tour du côté de la météo et des webcams. Tout est OK. Ce sera le Grand-Bornand car ça rentre (le vent !) encore un peu en nord !

(1) une « vache » est un atterrissage d’urgence, hors des espaces prévus à cet effet, sous l’effet de vents contraires ou autres péripéties aéronautiques qui nous empêchent d’atteindre le point initialement visé.

(2) Vent de Q : le parapente comme tous les aéronefs du monde est soumis aux mêmes lois aéronautiques : on décolle et on atterrit vent de face (et pas vent de Q), sans quoi la vitesse du vent s’ajoute à la vitesse de l’engin. Exemple : il y a 10 km de vent, on vole à 30 km/h, donc vent de face on va avancer à 30 – 10 = 20 km/h. Vent de Q : 30 + 10 = 40 km/m. Essayez pour voir de vous jeter à vélo dans une pente à 40 km/h… ça frotte un peu à l’arrivée !

(3) Faire le plein : monter au plus haut du thermique pour avoir le maximum d’altitude afin de pouvoir transiter le plus loin possible, à la recherche du thermique suivant ou du sommet convoité… et recommencer sans modération !

(4) Pompe = ascendance = masse d'air plus chaude que l'air environnant et donc qui monte. Le contraire est une descendance (ou dégueulante quand ça descend trop fort à notre goût).

(5) ça va faire : expression courante chez nous. On peut aussi la décliner de plusieurs manières : "Tu crois qu'ça fait ? Ca fait ? Ca fait pas ? J'crois qu'ça va faire ! Ouais, ça va p't'être faire !

(5) Plafond = la base des nuages, c’est l’altitude maximum à laquelle on peut monter, vu qu’il est interdit d’aller dans les nuages. Y’en a toujours qui vont dans les nuages, mais c’est du genre risqué car on ne voit rien et on risque fort de se retrouver nez-à-nez avec un autre qui n’a pas respecté l’interdiction, ou avec un sommet car on ne sait jamais si on va droit ou pas dans un nuage, sauf si on est muni d’une boussole, mais normalement on n’a pas besoin de se munir d’une boussole puisque c’est interdit… et dangereux… d’aller dans les nuages (CQFD).

(6) Zéroter : ne pas monter, ni descendre, le variomètre indiquant 0. Se dit aussi lorsqu’on monte peu et qu'on reperd ce qu'on vient de gagner et qu’ainsi on reste à peu près à la même altitude.

(7) se refaire (une beauté, une santé…) en parapente, c’est surtout regagner l’altitude qu’on vient de perdre.

(8) se faire enterrer (en parapente, ce ne peut être en grandes pompes – voir note 4 - car dans ce cas-là, on ne se ferait pas enterrer) : quand les brises et les thermiques décident de vous envoyer non vers le haut mais vers le bas. On dit aussi aller au tapis, aller au tas, faire une luge, faire un plouf, faire un tas !