LA SOLITUDE DU PARAPENTISTE

On a coutume de raconter les beaux vols, les moments forts, ceux qu’on aimerait partager… On s’étend moins sur les moments difficiles, ceux où l’on aurait préféré ne pas être là, où on se dit qu’on aurait mieux fait d’aller boire une bière. Le vol suivant fait partie de ceux-là.

5 juillet 2010. J’arrive à Planfait en début d’après-midi. Ça rentre fort en sud-ouest et il n’y a que quelques ailes l’air, ce qui n’est pas très courant (Planfait est un des sites les plus fréquentés de France). Ça montre qu’effectivement, les conditions du jour ne doivent pas être idéales. Je déplie quand même ma belle Usport toute neuve et j’ai vraiment hâte de décoller. La manche à air indique que la brise arrive de travers gauche (sud-ouest, normal). Ça ne m’inquiète pas outre-mesure, j’ai l’habitude. Mais la U n’est pas la Sygma, et je vais galérer pour arriver à décoller. Il faudra que je m’y reprenne à 5 reprises. Je suis en nage quand enfin j’y arrive. Et je ne suis pas au bout de mes peines. La masse d’air est agitée, du coup l’aile aussi. Ça brasse sérieux, je suis obligé de tenir mes commandes avec beaucoup de fermeté. Je me dis qu’en prenant un peu d’altitude, ça devrait aller mieux. Que nenni ! Ça continue de bouger, les thermiques sont petits, teigneux, je n’arrive pas à rester dedans ? Ça monte fort quelques secondes, puis juste près, badaboum, c’est la dégringolade. Ça tape de tous les côtés. Je vais me balader du côté des dents de Lanfon, mais c’est partout pareil. Au-dessus des falaises, je suis nerveux, stressé… une grosse fermeture à cet endroit ne me dit rien du tout. Par moment, je ne sens plus rien dans mes commandes, le calme avant la tempête ???

J’essaie d’anticiper au maximum. Pour les autres ailes, c’est pareil. Par moments, tout le monde est en haut. 3 minutes plus tard, il n’y a plus personne. Au bout d’une heure de ce régime de type essoreuse, je suis vraiment fatigué et toujours aussi tendu.

Dans ces conditions, on se sent seul, tout petit devant les éléments… Et il n’est pas question d’abandonner, de stopper à cet instant précis. Il faut finir le boulot, ou tout du moins aller se poser. Je tire droit sur l’atterrissage. Hors des zones thermiques, c’est un peu plus calme. Généralement, ces jours-là, je ne fais pas de photos (tiens donc, pourquoi ?).

A Planfait, c’est aussi comme ça avec le régime de nord ou de nord-est, peut-être en pire, au point que je me suis promis que je ne volerais plus dans ces conditions (Ouais, bon, peut-être). Quand il y a du nord, on est sous le vent de tout le massif, ce qui explique pourquoi c’est si agité. Ça n’empêche quand même pas les hélicos de décoller pour aller récupérer tous ceux qui se sont mis par terre (si, si, ça arrive ! 6 fois un certain week-end d’avril). C’est aussi dans les conditions de nord que c’est le plus dangereux à Planfait. Indirectement, en fait, car comme ça ne monte que difficilement, tout le monde tourne devant le décollage. Plus le temps passe, plus la grappe augmente. Gare aux collisions !

Et ça finit comme il se doit devant un demi en se disant que finalement on n’est pas si mal sur le plancher des vaches. Vivement demain que je m’y remette !

Même quand les conditions sont bonnes, il arrive parfois qu’on se sente bien seul, là-haut !

8 juillet. Quand j’arrive, il n’y a aucune aile en l’air. Mauvais signe. Je passe à l’école pour voir la météo et demander l’évolution. Apparemment ça devrait voler. Je monte avec la navette de Vincent qui va faire un bi. Je décolle et j’enroule avec lui quelques minutes. Ça monte bien aux dents. Vincent me quitte car il a fini son temps "règlementaire". Je continue de monter tranquillement jusqu’au plafond. La masse d’air est calme, ça bouge un peu, sans plus (en parapente, se faire brasser fait partie du jeu, de même que les fermetures, car qui dit thermiques dit masse d’air en mouvement. Même un gros porteur subit l’influence des mouvements de la masse d’air, alors nous ?). Je me dirige vers la Tournette et me retrouve dans une grosse dégueulante. Je reviens au Lanfon, refais le plein et décide de tirer sur le Grand-Bornand. Et là, le doute me prend, je suis tout seul à cette altitude ! Et si je me trompais, et si je prenais la mauvaise décision ? Heureusement, ce flottement ne dure que quelques secondes. Je pars sans plus hésiter.

(ça me rappelle un gros moment de peur que j’avais eu il y a quelques années. J’étais parti de Mieussy, j’avais traversé jusqu’à Morzine, puis Flaine. J’étais ensuite remonté vers le nord. Ne connaissant pas bien les lieux, je n’avais pas imaginé que j’allais arriver au-dessus du cirque du Fer-à-Cheval. En arrivant au dessus-de ce gouffre béant, je m’étais mis à flipper un maximum. Il m’avait fallu faire un exercice de respiration pour retrouver mon calme).

Quand je commence à transiter sur Thônes, je m’aperçois qu’un autre parapente m’a suivi. Ça me fait chaud au cœur. Bienvenu au club ! On passe un grand moment dans la combe sous le Lachat de Thônes, car ça ne veut pas monter. Par moments, je suis presque les pieds sur les alpages. Je fais même fuir un chamois. Il me faut presqu’une heure pour en sortir, pas mon compagnon, malheureusement, qui doit aller se vacher en contrebas. Du Lachat, je traverse sur le Grand-Bornand, mais je n’arrive pas à refaire le plein sur le Danay (damné Danay !). Alors je vais me poser tranquillement et je n’ai plus qu’à tendre le pouce pour rentrer récupérer ma voiture (ce n’est pas grave, de toute façon, ce soir, on a du monde à la maison, il ne fallait pas que je traîne trop dans les airs).