Guigui au paradis

Personne n'a frayé le chemin que tu vas parcourir dans l'inconnu, dans le bleu de ce ciel immense. C'est ton chemin. Je te souhaite une belle balade. Jean-Robert Bergoend

Guigui vient d’arriver au paradis.

Saint-Pierre va trouver Dieu et lui dit : « Patron, y’a un drôle de gars qui vient d’arriver !

-          Qu’a-t-il de si drôle ? lui répond celui-ci.

-          Il est immense, uniquement vêtu d’un horrible slip vert, avec un casque sur la tête et des cheveux qui débordent de partout. Dans sa main droite, il tient deux baguettes de tambour et dans la gauche une sorte de vélo qui n’a qu’une roue.

-          Oui, et alors ? On en a déjà tellement vu !

-          Celui-là est vraiment différent des autres : il rigole et il m’a lancé un « Salut ! ça va ? » jovial quand j’ai ouvert la porte.

-          Ça, c’est sûr. D’habitude ils chialent tous et nous demandent de les renvoyer sur terre. Bon ! Fais-le entrer, on verra ce que ça donne. »

Quelques heures plus tard, Saint-Pierre retourne vers Dieu et lui déclare catastrophé : « Patron, c’est pas possible, y va nous foutre le bordel, je le sens !

-          Quel genre ?

-          Il a déjà apostrophé à peu près tout le monde de son « salut ! ça va ? » et il répète inlassablement les mêmes blagues.

-          Ben, mon Saint-Pierre, c’est pas grave ça, au contraire, ça nous changera de la morosité ambiante.

-          Le problème, c’est que ses blagues sont du genre douteuses. Vous connaissez l’histoire du pigeon qui explose quand on…

-          Stop ! Je ne veux pas l’entendre, celle-là, je la connais. Et quoi d’autre ?

-          Il a tendu une sangle immense entre les ailes est et ouest du paradis et il fait des aller-et-retour dessus avec son drôle de vélo, le tout en rigolant. De temps en temps, il descend et tape sur tout ce qui lui tombe sous la main avec ses deux baguettes. Ça fait un potin du diable.

-          Pas de gros mot, mon Saint-Pierre ! Laisse-le s’amuser un peu, dans quelques jours, il sera calmé.

-          Oui, mais tout le monde rigole et l’applaudit. Ce n’est pas bon, je sens qu’on va perdre le contrôle.

-          Ok ! Va le trouver et explique-lui qu’ici, on est au paradis et qu’il faut qu’il ait un peu de retenue. Fais-lui aussi signer le règlement intérieur.

Saint-Pierre retourne donc vers Guigui mais n’a pas le temps de lui dire quoi que ce soit que celui-ci lui lance avec le plus grand sérieux : « Ha, Saint-Pierre. Je voudrais vous présenter le plan de financement de mon hydravion ! Ça devrait vous intéresser !

-          Guillaaaaaaaaaaaaume ! Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse d’un hydravion ici ? On n’a pas de mer !

-          Ha bon ! Ben, je vais juste changer un peu les plans et faire un hydravion de ciel ! Vous connaissez l’histoire du pigeon… ?

Saint-Pierre comprend alors qu’il ne tirera rien de lui et lui propose de l’installer dans un endroit qui devrait permettre de préserver la quiétude la place. « Guillaume, on a bien un petit coin… enfin pas si petit. C’est une sorte de friche qu’on n’a jamais eu le temps d’équiper. On a tellement à faire avec tous ceux qui arrivent.

-          À voir ! C’est grand comment ?

-          Ben, c’est infini, comme le paradis lui-même !

-          C’est chouette ! Je vais pouvoir installer mon observatoire à étoiles. J’avais commencé une maquette à l’école d’architecture mais je n’avais pas assez de place pour l’installer entièrement. Mes profs avaient trouvé l’idée, euh… originale mais trop ambitieuse. Tenez, voilà les plans ! »

Et Guigui sort d’on ne sait où un énorme dossier avec plein de dessins, de croquis, de notes. Le plan principal représente une tour de forme hélicoïdale qui monte vers le ciel, avec des escaliers dans tous les sens. A chaque niveau, une salle avec une batterie et des sangles tendues un peu partout. « Et à quoi ça sert, toutes ces sangles ?

-          Ah, ça, c’est juste pour mon monocycle. Je peux grimper à tous les étages sans passer par les escaliers. Y’a des endroits, c’est un peu raide, mais avec un peu d’entraînement, je devrais y arriver.

-          Bon, ok ! Je vais demander l’autorisation à Dieu, mais ça ne devrait pas poser de problème.

-          Y va me falloir un peu de main d’œuvre ! Et l’histoire de l’ours et du lapin, vous connaissez ?

-          Non, mais tu me la raconteras une autre fois. Pour la main-d’œuvre, on va te trouver ça. Y’a pas mal de gens ici qui se tournent un peu trop les pouces. On a toute une tripotée d’anciens hauts fonctionnaires et d’hommes politiques qui n’ont jamais mis les mains dans le cambouis, ça leur fera pas de mal ! Au fait, à quoi elle sert cette tour ? »

-          Oh, juste à regarder les étoiles et la terre aussi. En bas, j’ai ma famille et pas mal de copains. Il faut que je prenne un peu soin d’eux, qu’ils ne fassent pas de conneries. »

Et c’est ainsi que Guigui mit son projet à exécution.  Cela lui prit pas mal de temps (mais comme chacun sait, la notion de temps n’existe pas au paradis).

Sa tour immense se dresse maintenant loin au-dessus de l’horizon. Si vous regardez bien, certaines nuits étoilées et seulement si vous avez un cœur pur, vous pouvez l’apercevoir. C’est plus difficile de voir Guigui, car on ne sait jamais trop où il est, à rouler comme un fou quelque part sur son monocyle. On entend parfois ses roulements déchaînés que certains confondent avec le grondement du tonnerre.

Dieu est bien un peu jaloux mais prend sur lui car le calme est revenu au paradis.

Guigui passe depuis de longues heures à scruter les étoiles en sirotant un triple expresso et en dévorant des crêpes d’où dégouline un flot de sirop d’érable. Chaque fois qu’il observe la terre, il peut voir dans la nuit les milliers de bougies que ses amis ont allumées pour lui.