COMMENT J’M’AI PAS TUÉ !

ou histoire d ‘un VRAC… en vrac !

Dans mes précédents articles, je vous parlais de l’engagement du cross en parapente, des conditions qui peuvent être parfois difficiles… Hier, jeudi 23 avril, à 16h15, il m’est arrivé ce que nous craignons tous : succession d’incidents en cascade, fermetures de tous les côtés… et chute au sol, heureusement sans bobo !

Tout avait pourtant bien commencé, une belle journée s’annonçait avec une météo favorable. Je me retrouve donc comme tous les jours depuis plus d’une semaine au décollage de Planfait, vers midi. J’y retrouve Vincent avec un groupe de stagiaires. Il me propose de voler avec eux.

Vers 14h00, tout le monde décolle, je fais un gros plafond (2700m) sur les dents de Lanfon et suis le groupe à la radio. J’entends que 2 stagiaires n’ont pas réussi à monter et qu’ils se sont vachés. Vincent demande alors au groupe de patienter jusqu’à ce qu’ils remontent et qu’il leur faudra au moins une demi-heure. Je décide alors de faire cavalier seul et pars directement sur le Parmelan.

Les conditions sont fortes, quelques fermetures m’incitent à bien tenir mon aile. Replaf (5) ! Je vais jusqu’à la pointe et constate que, à la différence des autres jours, il n’y a pas de cumulus sur les sommets suivants, preuve que la convection n’est pas installée de ce côté. Vu l’heure avancée (je suis parti une heure plus tard que les autres jours), je décide de faire demi-tour et de rejoindre un premier groupe qui a commencé à transiter sur le Lachat de Thônes. Certains sont déjà très haut et bien en avant. Un autre petit groupe est en train d’arriver en bas de l’arête.

Je transite assez haut en même temps qu’un autre parapente. Je rejoins l’arête et rattrape petit à petit le premier groupe à qui Vincent a dit de continuer en direction du Jalouvre. De l’autre côté du verrou d’Entremont, les conditions ne sont pas très bonnes et tout le monde perd petit à petit de l’altitude. J’essaie de m’avancer en direction du Roc des tours mais il n’y a rien non plus. Je reviens en arrière. Plusieurs parapentes tournent assez bas mais personne ne trouve rien de suffisamment fort pour remonter.

Les conditions sont agitées, mon aile ferme souvent, mais rien de bien inhabituel dans ce genre de balade. Je suis assez bas et proche de la forêt, ce qui ne m’inquiète pas outre mesure car j’ai beaucoup volé dans les Vosges, où l’on vole fréquemment les pieds à quelques mètres de la cime des arbres. Tout à coup, je sens une fermeture sur la gauche que j’essaie de contrer par une pression un peu plus importante dans ma poignée gauche (ce que j’ai fait des centaines de fois).

Je n’ai pas le temps de finir que ça ferme à droite et là tout s’enchaîne et ne va durer que quelques secondes. Mon aile part en rotation, j’essaie de contrer en mettant tout mon poids de l’autre côté… ça repart de l’autre… et après je ne sais plus trop bien. J’ai juste compris que j’étais sorti du domaine normal du vol.

Sans réfléchir, j’attrape la poignée de mon parachute de secours et la jette au loin… mais c’est trop tard car j’ai perdu le peu d’altitude que j’avais et c’est l’arrivée au sol en même temps que mon secours s’ouvre. Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur et contre toute attente, je n’ai aucune douleur, je n’ai ressenti aucun choc.

Ma chance, c’est qu’il y a encore beaucoup de neige et qu’elle a amorti ma chute, évitant de me casser quelque chose. De plus, je suis arrivé de face, les jambes en premier (par le passé, dans plusieurs cas d’arrivées brutales au sol, je suis arrivé sur les jambes). Ce sont des amortisseurs puissants et il vaut mieux une jambe ou une cheville brisée que la tête ou le dos.

Je suis enfoncé dans la neige jusqu‘à la taille. J’entends un pilote qui annonce à Vincent que quelqu’un vient de se planter. J’attrape aussitôt mon micro pour annoncer que je n’ai rien. Je regarde autour de moi pour voir où je suis (je n’en reviens encore pas de ne rien avoir… jour de chance ! J’ai cramé une cartouche, je ne sais pas de combien on en dispose. Est-ce que nous avons plusieurs vies comme les chats ?).

Je suis en contrebas – côté ouest – de l’arête de Charmieu, dans une pente très raide, un peu au-dessus du vide, et je commence à me demander comment je vais pouvoir me sortir de là. Mon secours est posé sur le bas d’un sapin à côté de moi, pareil pour le parapente, mais dans un autre. J’essaie de me dégager de la neige mais je n’y arrive pas. Je suis tellement enfoncé qu’il m’est impossible de m’en dégager.

Il me faudra 10 mn d’efforts intenses pour arriver à me libérer un pied puis l’autre. Il y a de la neige partout, je retrouve ma caméra qui a été éjectée dans la chute, elle aussi est pleine de neige. Je décide d’agir avec ordre. J’enlève mon casque car je il me gêne, j’ai les lunettes pleines de neige…Je me décroche de ma sellette et me remets debout. Je suis en équilibre précaire.

Si je veux sortir de là rapidement, il faut que j’arrive à récupérer tout mon matériel. Je ramène le secours et le bourre dans la poche arrière de ma sellette. Idem pour la voile que je bourre comme je peux dans son sac. J’y ajoute la sellette. La fille qui m’a vu tomber est de nouveau au-dessus de moi, je l’entends qui parle à Vincent à la radio. J’en profite pour lui demander si elle peut me dire dans quel sens je dois partir. Vers le bas, ça me paraît bien vertical ! En plus, il doit y avoir des falaises. Ce serait bête de me tuer maintenant.

Elle me dit de sortir par le haut, que derrière ça semble praticable. J’entame la remontée (quelques dizaines de mètres, à vue de nez), mais avec le poids du sac (qui doit approcher les 30 kgs) je m’enfonce tellement que je ne progresse quasiment pas. Finalement, en prenant appui sur le sapin qui est à côté de moi, j’arrive à m’extirper de la zone. La suite est plus facile, la neige enfonce moins et je me retrouve sur l’arête. Ça semble descendre mais c’est plutôt raide, avec des pierres ou de la neige, c’est selon…

Dans les premiers mètres de descente, je glisse et bascule, le poids du sac m’entraînant, je sens une douleur dans le genou, il était moins une pour qu’il lâche, mais je me rattrape de justesse. Je décide de ressortir le casque. J’aurais l’air malin à appeler des secours maintenant. S’ensuit alors une heure de descente difficile, parfois sur les fesses (l’état de mon jean à la fin de cette galère en dira long sur la descente. Je me demande encore comment j’ai pu être pris en stop).

Le genou me fait mal et je n’ose plus trop prendre appui dessus (je crois que j’ai une entorse légère, ça passera en quelques jours). Je crois que mes collègues vont encore se moquer de moi, la dernière fois c’était la jambe gauche, cette fois-ci, ce sera la droite).

J’arrive enfin à la route, dans les hauteurs du Grand-Bornand. Je serai à la maison vers 19h00, à temps pour préparer à manger car Isa rentre ce soir de Paris avec les loulous. Dans une des voitures qui me prendra en stop, je me retrouverai un moment avec un parapentiste qui s’est vaché lui aussi (mais moins violemment) dans les Aravis. Il raconte que la veille, il a décollé du col de l’épine (au bout du lac d’Annecy), est allé jusqu’à Grenoble, est revenu au Roc des bœufs pour se poser finalement à Evian, le tout en un peu plus de 8 heures. Pascal m’apprendra le soir au téléphone que c’est un gars connu, un des « bons » de la spécialité.

Au calme, je réfléchirai un peu à tout ça, même si le moral n’est pas atteint : un peu d’excès de confiance (revenue peut-être un peu trop vite), une aile finalement peut-être pas si « sûre » (du coup ça va me décider à en changer plus vite que prévu), un vol peut-être un peu trop lent… un ensemble de paramètres qui, pris isolément, n’auraient rien provoqué, mais qui, tous ensemble, m’ont conduit au tapis. C’est le métier qui rentre, mais à ne pas renouveler trop souvent !